Axe Axeco

EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE (AXECO)

Responsables: Nicolas Patin et Éric Suire

Le précédent quinquennal de l’axe « Europe Centrale et Orientale » du CEMMC avait pris pour thème : les circulations et les échanges en Europe centrale et orientale. Il eut comme point d’orgue le colloque international sur « Le livre dans les échanges culturels entre Européens de l’Est et de l’Ouest, du XVIIIe siècle à nos jours » (nov. 2019), dont les actes sont à paraître dans la Revue française d’histoire du livre (novembre 2020). Dans la continuité et le dépassement de la réflexion engagée, le futur projet quinquennal devrait porter sur La formation et le délitement des identités nationales en Europe centrale et orientale. Il s’agirait de mener une recherche collective sur la mutation des identités nationales, considérées sur le temps long, dans un espace géographique dont les frontières sont restées mouvantes au cours de la période étudiée. Tous les éléments constitutifs ou perturbateurs des identités nationales seront envisagés, dans le domaine politique, religieux, culturel, démographique. Le rôle des phénomènes migratoires et la porosité des frontières méritent, tout particulièrement, d’être pris en compte. L’actualité nous le rappelle. Les événements consécutifs de la guerre civile en Syrie depuis 2011 et l’arrivée massive de réfugiés en Europe ont rendu caduques les analyses qui faisaient des déplacements de population de l’après-1944 le dernier grand mouvement migratoire européen. Ils ont également mis en lumière les choix différents effectués par les États européens. En schématisant quelque peu, une division s’est alors opérée entre les pays d’Europe de l’Ouest, l’Allemagne en particulier, qui ont manifesté une volonté d’accueil, et les pays du centre et de l’est européens (Hongrie, Pologne…) qui ont préféré fermer leurs frontières aux migrants. Ces différences renvoient, certes, à des choix politiques locaux et contingents, mais la question de l’appartenance religieuse des réfugiés semble avoir joué un rôle central, au sein d’un espace longtemps marqué par la présence de l’occupant ottoman.

Au-delà des enjeux démographiques, économiques et sociaux, le clivage actuel opposant les pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Est sur le problème des migrants invite à questionner plus avant la question de la formation et du délitement des identités nationales des peuples et des pays de l’Europe centrale et orientale. Il conviendra d’aborder le rôle joué par les princes et les États, les communautés d’habitants, la religion et le clergé, la culture matérielle et immatérielle (langue, habitat, vêtement…), sans négliger le rôle des représentations mentales et de la « mémoire collective » mise en évidence par Maurice Halbwachs.

Il s’agira aussi d’étudier, sur le temps long, les éléments « perturbateurs » ou au contraire « consolidateurs » de ces identités : l’attachement ou le rejet d’un souverain ou d’une dynastie ; le rôle des institutions représentatives (diètes et assemblées) ; l’impact des guerres et de la résistance/complicité aux/avec les armées ennemies ; la persécution dirigée contre un groupe particulier, pour des motifs religieux, politiques, ethniques… ; la modification d’une frontière à la suite d’une annexion ou d’un traité (Silésiens après 1742, Hongrois transylvains après 1919…), l’éclatement d’une révolution… Les phénomènes économiques ne seront pas non plus négligés. L’époque contemporaine, avec l’industrialisation, a enregistré une urbanisation des phénomènes migratoires, qui affectaient auparavant, en premier lieu, le monde rural. Il s’agira d’apprécier dans quelle mesure ces déplacements ont affecté les identités nationales.

Pour le XXe siècle, la question de la mémoire des meurtres de masse commis par les Nazis dans les territoires conquis à l’Est mérite aussi un examen. Elle a soulevé, dans l’URSS de Staline, un certain nombre de problèmes politiques. Dès la fin de la guerre, le Comité Antifasciste Juif a par exemple été soupçonné de mener une propagande du « nationalisme bourgeois juif ». Le Livre noir est resté, pendant des décennies, prisonnier de la vision officielle de la « Grande guerre patriotique », qui entravait la diffusion de la mémoire du génocide des juifs par les nazis. Il importait, aux yeux du Parti, de ne pas dissocier les juifs des autres victimes de la guerre. Dans quelle mesure la difficulté est-elle surmontée aujourd’hui ? L’affirmation d’une identité nationale peut-elle être pleinement conciliée avec l’acceptation du passé ?

Enfin, la réflexion engagée devrait permettre, dans une perspective comparatiste et en utilisant les travaux consacrés aux pays de l’Europe occidentale, de mieux cerner le concept d’« identité nationale ». Ce dernier ne repose pas exactement sur les mêmes critères à l’époque moderne et contemporaine67. Sous l’Ancien Régime, la langue n’est pas un vecteur du sentiment national ; en outre, ce dernier ne s’inscrit pas dans un cadre territorial précis. Il n’est pas pour autant inexistant. La religion joue un rôle important dans sa définition. La place de cette dernière paraît même avoir été accrue par le processus de confessionnalisation, particulièrement remarquable en Pologne à la fin du XVIIe siècle, et en Bohême après la bataille de la Montagne Blanche (1620). Il conviendra d’apprécier dans quelle mesure les identités nationales ont pu se transformer au sein des différents espaces concernés, sans a priori téléologique en faveur de l’État-nation, car elles se sont éventuellement incarnées dans d’autres formes politiques. Des conceptions plus ou moins fluides de l’identité nationale ont pu traverser le temps. À l’inverse, la période stalinienne est souvent présentée comme un âge de glaciation ayant figé, non seulement la vie politique, mais également les évolutions socio-culturelles des pays soumis à la domination soviétique.

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